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La statue en bronze de Nelson Mandela devant l’ancienne prison Victor Verster, de laquelle il est sorti le 11 février 1990. JOHN HUSBAND/ALAMY STOCK PHOTO
La statue en bronze de Nelson Mandela devant l’ancienne prison Victor Verster, de laquelle il est sorti le 11 février 1990. JOHN HUSBAND/ALAMY STOCK PHOTO
Tensions

L’Afrique du Sud
face à la tempête Trump

Par Cédric Gouverneur
Publié le 6 mai 2025 à 07h54
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Le président américain met une pression Trump maximale sur la nation arc-en-ciel, inspiré par Elon Musk, un natif du pays. Avec un discours aligné sur celui de l’extrême droite afrikaner. Et sur les intérêts de l’allié israélien. Un message pour tous ceux qui seraient tentés de mener une politique contraire aux intérêts de Washington.

Dès l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, la suspension de l’Agence de coopération américaine (USAID) avait laissé l’Afrique du Sud groggy face à la brutalité du président et de son conseiller spécial Elon Musk – né et élevé à Pretoria pendant l’apartheid. L’USAID, via son programme PEPFAR (Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le sida) lancé en 2003, contribue en effet à 17% du budget sud-africain consacré à la lutte contre le VIH, dans un pays où près de 5 millions de personnes vivent avec un traitement antirétroviral… Mais la fin de l’USAID impactant l’ensemble du continent, la «nation arc-en-ciel» ne l’avait pas perçue comme une attaque personnelle… L’expulsion de l’ambassadeur Ebrahim Rasool marque un tournant. Le 14 mars, ce diplomate de 62 ans, qui venait de prendre son poste à Washington, participe à une conférence en ligne organisée par un think tank sud-africain. Et déclare: «Donald Trump a lancé une attaque suprémaciste contre les gouvernements en place, chez lui et à l’étranger». Difficile de ne pas être d’accord: le vice-président J.D. Vance, présent en Allemagne en février juste avant les élections, a par exemple affiché son soutien au parti d’extrême droite AFD… Mais Rasool, diplomate expérimenté – il était déjà ambassadeur sous Barack Obama  aurait dû garder ses réflexions pour lui. D’autant que ce vétéran de l’ANC se trouvait déjà dans le collimateur de l’administration américaine, notamment pour son soutien assumé au Hamas (sur son mur Facebook, ouvert au public, trône la photo d’une écharpe palestinienne dédicacée par Ismaïl Haniyeh, ex-chef de l’organisation terroriste…). La réaction de l’administration Trump ne s’est pas fait attendre: quelques heures après cette conférence, le secrétaire d’État Marco Rubio déclare l’ambassadeur persona non grata et le qualifie de «politicien raciste qui hait l’Amérique et le président». Rasool se voit donner 72 heures pour quitter le pays… À l’évidence, l’administration Trump a utilisé ses déclarations imprudentes comme prétextes afin d’engager un bras de fer contre l’Afrique du Sud: Trump, allié inconditionnel du Premier ministre israélien, n’a pas digéré que la première puissance du continent, membre des BRICS, poursuive Benyamin Netanyahou devant la Cour internationale de justice (CIJ) en l’accusant de génocide à Gaza. En février, Rubio avait ainsi boudé une réunion interministérielle organisée à Johannesburg dans le cadre de la préparation du sommet du G20, qui aura lieu en Afrique du Sud en novembre. Et pour que le message soit encore plus clair, Trump a nommé un nouvel ambassadeur à Pretoria: un certain Leo Brent Bozell III. Un activiste d’extrême droite de 69 ans, sans la moindre compétence diplomatique ni connaissance de l’Afrique. Fervent soutien d’Israël, il consacre sa vie à traquer les «biais progressistes» au sein des médias américains, et l’un de ses fils a été condamné pour sa participation à l’assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021. Le dialogue entre un tel personnage et les responsables sud-africains promet d’être tendu. Car depuis l’époque de la lutte contre l’apartheid, le Congrès national africain (ANC) soutient la cause palestinienne. Dans les années 1970 et 1980, l’ANC était appuyée militairement par l’Union soviétique et Cuba, et considérait l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou l’Armée républicaine irlandaise (IRA) comme des «frères d’armes». La diplomatie sud-africaine demeure liée à cet héritage: elle soutient fermement les Palestiniens et penche pour Moscou dans le conflit ukrainien. Même si les islamistes du Hamas professent une idéologie fort éloignée de celle de Yasser Arafat, et même si la Russie de Vladimir Poutine, oligarchique et ultracapitaliste, a peu à voir avec l’URSS communiste… Washington semble donc décidé à contraindre Pretoria à changer de cap diplomatique.

LE MYTHE RACISTE DU «GÉNOCIDE DES BLANCS»

L’ambassadeur sud-africain Ebrahim Rasool, expulsé des États-Unis le 14 mars, est accueilli par la foule lors de son arrivée à l’aéroport du Cap, le 23 mars 2025. GIANLUIGI GUERCIA/AFPTout aussi inquiétant: afin de saper la légitimité morale dont peut s’enorgueillir l’Afrique du Sud depuis qu’elle a triomphé de l’apartheid sans conteste, l’un des régimes politiques les plus inhumains du XXe siècle –, Trump et son administration reprennent sans sourciller les arguments de l’extrême droite afrikaner. Le président américain se dit même prêt à accueillir les Sud-Africains blancs comme «réfugiés» pour leur offrir la «sécurité», accusant l’Afrique du Sud de les «maltraiter». Il cautionne le mythe afrikaner raciste d’un «génocide des Blancs»: depuis la fin de l’apartheid, les meurtres de fermiers blancs sont exploités par les nostalgiques de la ségrégation, et relayés sur les réseaux sociaux par des militants d’extrême droite en Europe et aux États-Unis. N’en déplaise à Trump et consorts, la théorie d’assassinats qui cibleraient de façon disproportionnée les fermiers blancs ne résiste pas à l’examen des faits: les statistiques montrent que la criminalité affecte l’ensemble de la nation, pays le plus violent au monde hors conflits, avec environ 27000 homicides l’an dernier, soit un ratio de 45 pour 100000 habitants (contre une moyenne de 9 pour 100000 en Afrique subsaharienne). Les Sud-Africains noirs et pauvres s’avèrent d’ailleurs plus vulnérables que les Blancs aisés, puisqu’incapables de se payer les services de vigiles ou une porte anti-effraction. Dans les townships, être cambriolé, violé ou assassiné constitue une menace permanente. Mais ces victimes ne sont guère médiatisées…