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Portrait

Jay-Z : maître du star business

Par Sophie Rosemont - Publié en octobre 2017
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L’époque où il vendait lui-même ses CD n’est plus qu’un lointain souvenir. À 47 ans, le rappeur, qui a sorti cet été 4:44, 13e album très intime, est l’un des boss incontestables du HIP HOP. Un statut qu’il entretient grâce à un sens des affaires inné et l’appui d’une déesse de la pop : son épouse Beyoncé.
 
«Jay-Z n’a plus besoin de prévenir : quand il sort un album, c’est un événement. » Si, début juillet, le communiqué officiel de sa maison de disques se veut triomphant, en coulisse, c’est un autre son de cloche : la sortie du treizième album du rappeur a été décidée… du jour au lendemain. De quoi compliquer le travail commercial, marketing et communication pour 4:44… même s’il n’en a pas besoin. Car Jay-Z sait très bien faire sa publicité tout seul. Ou presque : son épouse, Beyoncé, Néfertiti des temps modernes, veille au grain sur la super-popularité de leur couple devenu famille. En témoigne sa dernière photographie publiée en guise de faire-part de naissance de leurs
14 juillet 2017. Beyoncé poste la première photo de ses jumeaux sur Instagram, un mois après leur naissance.
jumeaux.
 
Couronnée de fleurs devant un décor ultra-kitsch, vêtue comme une déesse de l’Olympe, elle tient ses deux bébés, maquillée à la perfection. La mamma, la madone, la femme fatale… le tout en une seule image qui a dû demander des jours de préparation. Hormis la fameuse bagarre en ascenseur entre Solange et Jay-Z, il y a trois ans, qui avait sérieusement secoué Internet (classée sans suite par les principaux concernés), tout est sous contrôle chez les Carter. Et si l’on ne peut que saluer le parcours sans faute de Beyoncé, d’abord grâce à ses parents, puis avec l’aide de son cher et tendre, celui-ci n’a pas à rougir de la main de fer avec laquelle il dirige son business depuis ses débuts. Né le 4 décembre 1969 à Brooklyn, Shawn Carter grandit sans présence paternelle, avec trois frères et soeurs. Son père, Adnes Reeves, quitte le domicile conjugal lorsqu’il a 11 ans. Sa mère, Gloria, est une forte tête. Mais, comme il vient de le révéler dans 4:44, un secret la ronge : son homosexualité.
 
« Maman a quatre enfants, mais elle est lesbienne… avoir fait semblant si longtemps, c’est une vraie comédienne. » À l’époque, il est très risqué de s’assumer. Mrs Carter mère attendra donc plusieurs décennies avant de vivre ses amours au grand jour. Surnommé Jazzy dans son quartier, admirant les dealers, le jeune Shawn partage son temps entre trafics de drogue, querelles de petites frappes et la musique. C’est elle qu’il finit par choisir. Très tôt, il comprend que s’il ne tient pas lui-même les ficelles en main, il ne sera qu’un pantin au sein d’une industrie qui prend et jette les artistes comme elle le souhaite. En 1995, il cofonde le label Roc- A-Fella et sort son premier album Reasonable Doubt dans la foulée. Quatre ans plus tard, il rencontre la gloire avec Vol. 2… Hard Knock Life, en samplant (entre autres) la bande sonore de la comédie musicale Annie. 
 
 

UN MENTOR HORS PAIR

Parrain du hip-hop américain, Jay-Z a toujours aimé s’entourer. Timbaland, Eminem, Snoop Dog, R.Kelly ou Pharrell Williams sont ses invités de la première heure, tandis que Damian Marley, James Blake ou Frank Ocean assurent les featurings de 4:44. Il sait aussi manier la confrontation des genres, avec son tube « Numb/Encore », un mash-up avec le groupe de métal Linkin Park. Mais ce que Jay-Z préfère par-dessus tout, c’est de jouer au Pygmalion. Offrir (ou du moins intervenir sur) des tubes aux divas de la pop : « Heartbreaker » pour Mariah Carey, « XXXO » de M.I.A., « Umbrella » pour Rihanna, sa grande trouvaille – qui, d’après les rumeurs, suscita la plus vive jalousie de Beyoncé. Il relance aussi la carrière de Mary J. Blige lors d’une tournée en duo en 2008, découvre Rita Ora, signe les enfants Spielberg pour leur groupe Wardell, J.Cole dès sa première mixtape, etc. Ses collaborations avec Kanye West, à qui il a donné sa chance sur l’album The Blueprint, appartiennent désormais au passé, après plusieurs brouilles dont la plus retentissante date de 2016, lorsque « M. Kardashian » l’a insulté tout en affirmant voter pour Donald Trump.

Son nouvel allié ? No I.D., beatmaker de Chicago comptant Drake ou Nas dans son tableau de chasse, chargé de la totalité de la production de 4:44. Une preuve de confiance assez rare chez Jay-Z, qui n’accorde sa confiance qu’à ceux montrant autant d’ambition que lui. « I’m not a businessman, I’m a business, man », chante-t-il. Et il a raison. Après avoir créé les labels Roc-AFella Records, Roc Nation et StarRoc, la marque de vêtements Rocawear, racheté l’équipe de basket-ball des Brooklyn Nets, lancé une enseigne de champagne, Armand de Brignac, acquis des parts dans le restaurant The Spotted Pig (avec Bono et Michael Stipe), ou dans la chaîne de bars sportifs 40/40 Club, Jay-Z s’est mis en tête de concurrencer Spotify, Apple et Deezer sur leur propre terrain. En 2015, il rachète, pour 56 millions de dollars, la plateforme Wing, devenue Tidal sous sa houlette. Un pari risqué, d’abord raillé par la presse.

Sauf que la sauce semble prendre : Tidal propose 75 % la proportion des revenus reversés aux ayants droit – la plus haute du marché et, peu à peu, des sponsors imposants comme Samsung et Sprint s’acoquinent avec la plateforme. Banco, Tidal vaut désormais 600 millions de dollars (514 millions d’euros). Et, en y publiant son album en exclusivité, Jay-Z enfonce le clou. De quoi entretenir sa fortune personnelle de 810 millions de dollars qui, additionnée à celle de Beyoncé, s’élève à 1,16 milliard de dollars. Une belle revanche pour le rappeur qui impose sa réussite aux stars hors du secteur hip hop. Cette réussite, il la doit aussi à Beyoncé – et inversement. Leur couple est une entreprise qui ne connaît pas la crise et, depuis le tube « Crazy in Love », surfe sur une vague narcissique. Cependant, si Mrs Carter s’en donne à coeur joie depuis des années, Jay-Z est longtemps resté assez pudique sur sa vie privée.

Sauf quand il s’agit de se défendre face à Madame qui, dans Lemonade, l’accuse de l’avoir trompée – tout en y affirmant aussi lui pardonner. Un mois après la sortie dudit album, Jay-Z répliquait avec le titre « All the Way Up ». Aujourd’hui, grâce à 4:44 (qui donne son nom à l’album, baptisé en référence à leur chiffre porte-bonheur, tous deux né un 4 et mariés le 4 avril 2008), il se rachète entièrement une conduite, chantant les louanges de Beyoncé, avec laquelle il partage le bien nommé « Family Feud ». Fait exceptionnel, il lui présente officiellement ses plates excuses, rappelant à la face du monde à quel point elle ne méritait pas de telles offenses.

Citant même sa fille Blue Ivy, régulièrement invitée sur ses disques, Jay-Z affirme son statut de star ayant décidé, une fois pour toutes, de respecter son rang de patriarche et de filer droit. Jusqu’à quand ? Espérons que la naissance ultra-médiatisée des jumeaux Sir et Rumi, en juin 2017, scelle définitivement son union tout bénef avec Queen B. Est-ce parce qu’il est devenu un emblème du rêve américain, suffisamment riche et célèbre pour assumer ses origines et ses convictions ? Ou alors parce que le slogan Black Live Matters est (enfin) dans l’air du temps, s’imposant comme un sujet de prédilection de la pop culture 2.1 ? Les deux, sans doute… En tout cas, Mr Carter suit la bonne parole de sa femme, prêchant pour le Black Empowerment sur son album Lemonade, et profite de 4:44 pour mettre en pleine lumière sa fierté d’être afro-américain.

Avec « The Story of O.J. », il revient sur le destin d’O.J. Simpson et sample « Four Women », morceau de Nina Simone évoquant les dissensions raciales. Clairement engagé, le clip (réalisé avec Mark Romanek) en est déjà à 12 millions de vues.

 

JAY-Z LIVE MATTERS

Sur « Moonlight », il rappelle le couac des Oscars et le fait que le film éponyme ait souffert de la couleur de peau de ses acteurs : « Nous sommes coincés dans La La Land, même lorsque nous devons gagner, nous perdons ». Or, comme il le raconte dans la chanson « Legacy », Jay-Z sait qu’il a construit un patrimoine hors du commun, savamment entretenu à coups de poker et de punchlines fanfaronnes, et dont ses enfants bénéficieront, s’ils sont assez malins. Car – et ce sont ses derniers mots – : « Black excellency, baby, let’em see. »

 

 
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