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Des cinémas pour l’Afrique

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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Dans presque toute l’Afrique, les salles ont fermé une à une. Désengagement des Etats et concurrence des DVD, le plus souvent piratés, ont eu leur peau. Pourtant, les réalisateurs ne manquent pas. Ils tentent d’exister dans leurs propres pays et de faire vivre leurs images. Le cinéaste béninois Idrissou Mora Kpaî (Si- Gueriki, La Reine-mère) affirme douloureusement : « Notre cinéma n’a plus de maison ! » Un appel au secours relayé par l’association « Des cinémas pour l’Afrique ».

L’initiative a été lancée par Abderrahmane Sissako (La Vie sur terre, En attendant le bonheur, Bamako) lors du Fespaco 2009, puis au Festival de Cannes, la même année, accueillant Juliette Binoche comme vice- présidente. Le cinéaste mauritanien, qui a passé toute son enfance au Mali, faisant son éducation cinématographique au Soudan Ciné à coups de western spaghetti, était particulièrement ému de réinvestir cette salle emblématique pour une après-midi. Le projet pilote de son association, la restauration du cinéma bamakois, propriété du groupe Tomota, espère donner l’impulsion pour la réouverture de salles dans d’autres pays d’Afrique. La démarche est soutenue par Culturesfrance, la mairie de Bamako et de nombreux partenaires au Mali, en Afrique et à l’étranger.

Le chantier de réhabilitation du Soudan Ciné, qui comptera deux salles, devrait débuter fin 2011. L’ambition de l’association est de faire de ce lieu une plateforme multifonctionnelle, programmant les cinémas d’Afrique et d’ailleurs, sans négliger les films populaires, mais s’ouvrant aussi à la danse, au théâtre, aux conférences, à la formation, voire à la diffusion de grands événements sportifs. Des personnalités, entreprises, institutions africaines et européennes mais aussi de simples cinéphiles soutiennent d’ores et déjà le projet par l’achat de fauteuils de cinéma : sur les quatre-cent vingt du Soudan Ciné, quatre-vingt dix ont été vendus.

La salle sera équipée en numérique pour faciliter le transport des copies des films. Un moyen qui permettra aussi de lutter contre le piratage : « Les films sont souvent copiés avant même leur sortie en Europe ! Si on les projette avant, on contribue à mettre à mal ce phénomène » explique Abderrahmane Sissako. Pour pérenniser le cinéma, le prix du billet n’excèdera pas 1 000 à 1 500 FCFA. « A partir du moment où les gens peuvent payer 1 000 FCFA pour se parler au téléphone, ils peuvent payer 1 000 FCFA pour aller au cinéma, c’est le meilleur moyen de communication ! » affirme le réalisateur. Pour lui, « le cinéma, c’est le lieu de sortie des familles, et celui par excellence des sorties en couple ». Clin d’œil à cette vocation de la salle de cinéma, le Soudan Ciné pourrait ainsi être équipé en  « love seat », ces fauteuils doubles sans accoudoir central, propices aux rapprochements.

Abderrahmane Sissako réfléchit d’ores et déjà à la façon de développer un réseau de salles africaines, en vue de s’associer pour acheter les droits de films, ou mutualiser les moyens d’éducation à l’image : « L’objectif est de faire comprendre à d’autres pays qu’il existe une association pour les aider à rouvrir des salles. » Faire en sorte qu’il n’y ait plus de cinéastes sans cinémas. Et que le public ne soit pas privé d’images de l’Afrique par les réalisateurs africains.

« L’Afrique a toujours été montrée, décrite, analysée par la voix de l’Occident. Et on a fini par se voir par les yeux des Occidentaux » constate le Nigérian Qudus Onikeku, magnifique danseur et chorégraphe, en exergue de son film Do we need Coca-Cola to dance ?, également projeté lundi dernier au Soudan Ciné. Une parabole sur l’identité africaine, un plaidoyer pour l’accès à la culture et l’échange à travers elle. Devant le cinéma bamakois, un très vieux monsieur vient, tous les jours, s’asseoir. Abderrahmane Sissako le connaît bien. Il attend que son cinéma ouvre à nouveau, pour pouvoir se délecter d’images de son Afrique vues par des artistes d’Afrique.

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