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Leïla Menchari, ambassadrice du goût

Par Michael.AYORINDE
Publié le 21 février 2011 à 15h57
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Jeudi 19 mars, 11 heures du matin, Institut du monde arabe, à Paris. Dans une heure, l’exposition « Orient Hermès, Voyages de Leïla Menchari » va ouvrir ses portes. Leïla Menchari, pantalon fluide et saharienne blanc sable, fait une pause. Autour, huit vitrines-décors sur les 128 élaborés au fil des ans par la décoratrice. « Il faut préserver le côté de l’enfance, énonce-t-elle d’emblée. L’enchantement, c’est l’enfance et, dans mon métier, c’est ce que l’on doit restituer de façon originale afin de stimuler chez l’adulte, l’envie, le souvenir, l’imaginaire. Et je viens d’un pays où, petite, il n’y avait pas un soir sans que l’on me conte Les Mille et Une Nuits. La Tunisie est un pays doux, béni des dieux. Je l’ai enfouie en moi à jamais. » Chaque étape de sa vie sera vécue comme une initiation avec des anges gardiens sur son chemin la poussant à se réaliser.

Sa famille d’abord : « Ma mère, petite fille du dernier sultan de Touggourt, était d’une grande modernité pour l’époque. Elle militait contre le port du voile et donnait des conférences pour l’amélioration de la condition féminine. Mon père, descendant d’une des grandes familles d’agriculteurs du Nord, était bilingue, juriste
et poète, amoureux de la France. Au lycée, où j’étais un cancre, j’étais déjà très indépendante. À la fois timide et révoltée, je m’étais forgé une attitude de garçon manqué. » Les Beaux-Arts de Tunis, d’où elle sortira diplômée, lui font entrevoir qu’il est temps de partir. « J’avais un rêve : Paris. J’ai fait en sorte d’y réussir le concours d’entrée à l’École supérieure des beauxarts. Je cachais à mes parents, qui m’avaient laissée partir, les chambres de bonnes, les petits boulots, le froid. »

Après l’obtention de son diplôme aux Beaux-Arts de Paris, des rencontres vont la conduire sur le chemin de la mode, du luxe. Son ami Azzedine Alaïa lui présentera Guy Laroche, dont elle deviendra le mannequin vedette : « C’est lui qui m’a rendu ma féminité. » Leïla se décide à reprendre le dessin. Et c’est le hasard qui la pousse à aller montrer ses dessins chez Hermès. Mais devant Annie Beaumel, la décoratrice, elle n’en mène pas large. « Elle regarda rapidement mon travail, et me dit : “Vous êtes une rêveuse, alors, partez dessiner vos rêves et revenez.” » C’est ainsi que tout a commencé. « Le doute est aussi un moteur. Je fais des décors de vitrine depuis quarante ans, et pourtant, à chaque fois, je suis morte d’angoisse. Ces fantasmes qui sont miens vont-ils encore marcher ? Un décor, c’est une ambiance, un climat. Pour que cela prenne forme, il faut savoir se servir de tout : une racine, une couleur, un voyage, une odeur, des souvenirs… De toutes les forces vives aussi : amis, sculpteurs, peintres. Un jour, j’ai demandé à César de me faire une compression pour une vitrine… Ce qu’il y a de très intéressant dans mon métier, c’est le passage incessant de la fiction à la réalité. Il faut à la fois savoir faire coïncider tout cela dans une commande et la transfigurer. Quand on m’a proposé la décoration de l’hôtel Port Palace à Monaco, j’ai pensé : “Ils sont fous ! Je n’en suis pas capable”, et puis je me suis imaginé que j’arrivais en bateau, qu’en descendant dans un hôtel, fatiguée, j’aimerais prendre un bain… Peu à peu, je me suis identifiée au lieu et mon rêve est devenu réalité… » Passer du rêve à la réalité pour une vie en quête de beauté et de liberté. Fabuleux destin !

Par Catherine Scapula