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une image, une histoire

Le caire, 5 février 1975
LA DIVA N’EST PLUS !

Par jmdenis
Publié le 1 février 2015 à 09h54
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DES MILLIONS D’HOMMES ET DE FEMMES ACCOMPAGNÈRENT OUM KALTHOUM JUSQU’À SA DERNIÈRE DEMEURE. Il est vrai que celle que l’on surnommait l’Astre de l’Orient n’était pas une chanteuse comme les autres. Cette ? lle de fellahs, devenue la plus grande voix du monde arabe, avait ? ni par incarner l’Égypte elle-même.

COMBIEN SONT-ILS dans les rues du Caire à se presser, éplorés, autour de son cercueil, ce 5 février 1975 ? De trois à cinq millions, dit-on. Ce furent en tout cas les plus gigantesques funérailles que le pays des pharaons ait connues, à l’exception des obsèques de Gamal Abdel Nasser en 1970. Fatima Ibrahim al-Sayyid al-Beltagui, plus connue sous le nom d’Oum Kalthoum, que tout un peuple accompagnait jusqu’à sa dernière demeure ce jour-là, n’était qu’une chanteuse. Mais quand la diva meurt d’une néphrite aiguë deux jours auparavant, à 71 ans, cela fait bien longtemps qu’elle ne s’appartient plus, qu’elle est l’Égypte.

Elle voit ainsi le jour (officiellement le 4 mai 1904) dans le modeste village de Tmaïe el-Zahayira, dans le delta du Nil, au sein d’une famille pauvre de fellahs, ces paysans piliers et symboles de la société rurale égyptienne. Très jeune, le talent d’Oum fait déjà merveille, au point qu’Ibrahim, son père, un imam, la fait entrer, à l’âge de 10 ans et déguisée en garçon (convenances obligent !), dans la petite troupe de cheikhs qu’il dirige à l’occasion des fêtes de mariage ou de circoncision. On la remarque et on l’invite à monter à la capitale. Elle a 19 ans. 1926 : son premier tube, Ya Karawan. Sa voix de contralto, souf?  e exceptionnel, semble abattre les murs de la musique savante khédivale jusque-là dominante, pour imposer un style novateur : de longues envolées d’une heure ou plus, emmenant les mélomanes très loin, jusqu’au tarab, l’extase. Cette femme qui restera célibataire jusqu’en 1953, avant d’épouser son médecin, Hassen el-Hafnaoui, exprime dans ses innombrables succès les paradoxes de l’Égyptien moderne, entre occidentalisation et respect de la tradition : elle évoque le sacré mais aussi le profane, Dieu mais aussi l’amour, l’élévation mais aussi le désir.

Elle aura chanté pour le couronnement du roi Farouk en 1936 avant de devenir l’égérie du socialisme nassérien après la révolution de 1952. Opportunisme ? Peu importe, elle est avant tout égyptienne et se fait aussi chantre du panarabisme. Après la guerre des Six Jours en 1967, elle se produit dans toutes les capitales, du Machrek au Maghreb, en passant par l’Olympia de Paris (seul concert en Occident de sa carrière), pour ren?  ouer les caisses de l’État. On l’appelle désormais l’Immortelle, la Dame, l’Astre de l’Orient, la quatrième Pyramide ! Elle envoûte son pays au point que le successeur de Nasser, Anouar el-Sadate, refusait même de donner ses conférences de presse le jeudi soir, quand la radio nationale diffusait ses célèbres concerts. Et, aujourd’hui encore, environ un million de CD de la plus légendaire des voix arabes se vendent chaque année dans le monde.