Le Best of art
PASCALE MARTHINE TAYOU
L’HOMME ET L’OBJET
HUMOUR, TRANSGRESSION, mais aussi poésie et africanité. Le tout mêlé à la symbolique artistique européenne. Pas un style n’échappe à Pascale Marthine Tayou, Camerounais de 47 ans né à Yaoundé et installé à Gand en Belgique depuis 2003. Que ce soit ses installations, ses photos ou ses sculptures, sa démarche n’a aucune limite ! Aussi bien sur la forme que sur le travail de la matière, notamment le recyclage, ou encore sur le détournement du quotidien, comme c’est le cas avec ses fameuses Poupées. Aujourd’hui très coté, il s’est fait remarquer lors des éditions 2005 et 2009 de la Biennale de Lyon, ainsi qu’à celle de Venise en 2009. C’est d’abord et avant tout à une longue introspection qu’il nous convie : voir le monde différemment, réfléchir à la place de l’homme au milieu des objets et, bien sûr, à celle de ces objets dans la vie d’un homme.
Belkacem Bahlouli
ROSS DOUGLAS
LE BUSINESS DE L’ART
PRÈS DE 10 000 VISITEURS en deux jours, 400 artistes africains présentés par une quarantaine de galeries, un chiffre d’affaires de 23 millions de rands. La 7e édition de la Joburg Art Fair, qui s’est tenue du 22 au 24 août dernier, a été un énorme succès. Organisatrice de ce rendez-vous majeur de l’art contemporain sur le continent, la société Artlogic. À sa tête : Ross Douglas, 48 ans, originaire de Durban. Ce réalisateur de documentaires animaliers découvre un jour, subjugué, les films expérimentaux de William Kentridge, le célèbre artiste protéiforme sud-africain. De fil en aiguille, il aura l’idée de mettre sur pied cette foire sur le modèle de celles de Londres et de Zurich. Depuis 2008, la Joburg Art Fair profite à plein de l’effervescence que connaît la création africaine. Devenu un infatigable collectionneur d’oeuvres, Ross se concentre sur la scène nigériane, très prometteuse. Sa plus grande satisfaction : « Il y a cinq ans, il n’y avait que 1 % de visiteurs noirs. Aujourd’hui, ils sont presque 40 %. Et il y a davantage d’artistes, de galeristes et de collectionneurs noirs. »
Jean-Michel Denis
BARTHÉLEMY TOGUO
LE POLYVALENT
TALENT RECONNU dans le milieu de la création contemporaine, ce touche-à-tout camerounais de 47 ans a toujours été en perpétuel mouvement. Déjà, au moment de son apprentissage. Il a d’abord suivi des études à l’École nationale supérieure des beauxarts d’Abidjan avant de s’inscrire à l’École supérieure d’art de Grenoble, puis à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf. Dans sa vie ensuite. Cet éternel voyageur n’a pas de point fixe : il va et vient entre Paris et Bandjoun, au Cameroun. Il y a fondé la Bandjoun Station, lieu de production et de conception qui reçoit des artistes locaux et internationaux. Dans son oeuvre, enfin, où il ne cesse d’explorer les arcanes de la vie dans toutes ses dimensions, personnelle – à la recherche d’une certaine spiritualité –, sociale ou politique (ses thèmes favoris sont l’exil, le racisme, l’homophobie, l’exploitation économique…). Barthélémy est également toujours en quête du médium qui lui permettra d’atteindre « sa » vérité. S’il montre une nette prédominance pour la sculpture, il n’hésite pas à recourir à la vidéo, la photo, la peinture ou la performance. Le travail de ce créateur polyvalent lui a valu d’être exposé à plusieurs reprises dans les plus prestigieux musées d’art moderne au monde, comme à Paris et Stockholm, mais aussi dans des galeries à New York, Londres, Sao Paulo et Séoul.
B.B.
LATIFA ECHAKHCH
L’ESPACE ENVAHI
NÉE AU MAROC en 1974, Latifa arrive trois ans plus tard en France. Elle y grandit et obtient les diplômes de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy et de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Le travail de cette plasticienne, aujourd’hui installée en Suisse, a fait le tour du monde : elle a été exposée au Palais de Tokyo à Paris, au Studio Museum de Harlem à New York, au MACBA à Barcelone, à la Tate Modern à Londres… La créatrice a aussi participé à la Biennale de Venise en 2011 et a décroché le prix Marcel- Duchamp – qui distingue chaque année un artiste français – en 2013, ce qui lui vaut d’être exposée au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 26 janvier 2015. Une forme de consécration. Latifa s’appuie sur de brèves réminiscences de son passé pour créer des oeuvres minimalistes et épurées qui envahissent l’espace, avec une singularité qui lui appartient. Elle utilise différents matériaux, parfois triviaux, comme des morceaux de sucre ou des fragments de tapis, pour composer ses installations. Poétiques, parfois perturbantes, celles-ci sont toujours bercées par les événements qui les entourent.
Sonia Terrab
MAHI BINEBINE
ARTISTE POPULAIRE
ON NE PRÉSENTE PLUS Mahi Binebine. Peintre, sculpteur, écrivain, il accumule les expositions à travers le monde et son oeuvre fait notamment partie de la collection permanente du musée Guggenheim de New York. Né à Marrakech en 1959, Mahi a d’abord été professeur de mathématiques à Paris avant de se consacrer à l’art et à l’écriture. Après avoir vécu en Espagne et aux États-Unis, il s’installe définitivement au Maroc en 2002. Aujourd’hui, il est l’un des peintres contemporains les plus cotés du royaume, et même du monde arabe. Généreux, bouillonnant de vie et d’énergie, à l’écoute des autres, le créateur vient de fonder avec le réalisateur Nabil Ayouch un centre culturel à Sidi Moumen, quartier populaire de Casablanca, pour former les jeunes défavorisés aux métiers des arts et de la scène. Il a aussi eu carte blanche pour présenter une exposition dans le cadre de la 2e édition du Forum mondial des droits de l’homme, organisée à Marrakech du 27 au 30 novembre dernier.
S.T.
BRETT BAILEY
LE SCANDALEUX
47 ANS, plasticien et metteur en scène, ce Sud-Africain blanc basé au Cap remporte un succès fou partout où il passe. Sa création, Exhibit B, tourne depuis quatre ans à travers le monde. Cette série de 12 tableauxperformances représente des scènes de l’histoire coloniale (esclavage) et post-coloniale (« zoos humains »), la présence d’acteurs noirs asservis dans ces installations étant censée déranger, troubler le spectateur. Certains considèrent qu’il s’agit d’un nouvel acte de domination raciale et reprochent à Brett Bailey de reproduire ce qu’il dénonce. Ils ont donc décidé de s’opposer à l’organisation de cet événement. Ainsi, le Barbican Centre, à Londres, a dû renoncer à la venue de l’artiste en septembre dernier. Situation similaire à Berlin. À Paris, Exhibit B, qui devait se tenir au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis du 27 au 30 novembre dernier, a également été annulée.
Sabine Cessou
CÉCILE FAKHOURY
ENTRE ABIDJAN ET LE MONDE
C’EST ICI À ABIDJAN qu’est née, en 2012, une galerie à la fois unique, locale, dynamique, globale, avant-gardiste. Un rectangle très design, épuré, au coeur du quartier de Cocody. 600 m2 entièrement dédiés à la création, lieu de découvertes, d’échanges et de rencontres. Qui se veut à la fois une galerie d’art contemporain africain et une galerie d’art contemporain en Afrique. Un espace pour artistes confirmés, mais aussi pour ceux qui veulent prendre place. On y a retrouvé récemment une remarquable exposition sur Pascale Marthine Tayou, les oeuvres de Vincent Michéa, ou celles d’Aboudia. Actuellement, et jusqu’au 24 janvier 2015, ce sont les photos de François-Xavier Gbré qui y sont présentées. Aux manettes, Cécile Fakhoury qui a grandi dans un quotidien baigné d’art. Une famille de galeristes, des études à mi-chemin entre économie et art, des stages à New York, à Paris, chez Sotheby’s. Et une rencontre avec Clyde, le fils de l’architecte de renom Pierre Fakhoury, qui l’amène vers l’Afrique. Une histoire particulière qui génère un positionnement ambitieux. Au coeur de la démarche de Cécile, on trouve cette recherche incontournable, nécessaire, vitale entre africanité et universalité.
Zyad Limam
MEHDI BEN CHEIKH
ITINÉRANCE
ENFANT DE L’ÉPHÉMÈRE et de l’urbain, le fondateur de la galerie parisienne Itinerrance s’est donné les moyens de sa démesure. Après avoir confié à des artistes issus du street art le soin de s’approprier les murs d’un immeuble de la capitale française – la Tour Paris 13 –, avant sa destruction en 2013, le diplômé de la Sorbonne a vu encore plus grand. À 40 ans, celui qui vit entre Paris et Tunis a créé, durant l’été 2014, un musée à ciel ouvert à Djerba. Un vrai tour de force ! Pendant trois mois, sous le nom de Djerbahood, 150 street-artists venus de 30 pays ont couvert de fresques le village d’Erriadh. Un événement qui a bousculé la torpeur de l’île et fait sortir les graffeurs de la ville.
Frida Dahmani
ABOUDIA
LE « NOUCHI » AU SOMMET
DURANT LES SEMAINES de crise postélectorale qui ont déchiré en 2011 la Côte d’Ivoire, il aura vécu terré dans une cave qui lui servira d’atelier. De cet exil intérieur ont émergé plusieurs toiles, et notamment Daloa 29, qui vont apporter la consécration à Aboudia, Abdoulaye Diarrasouba de son vrai nom. Visions de guerre, entre Jean-Michel Basquiat et Goya. Le monde primitif de l’enfance qui aurait viré au cauchemar. Après la révélation de ses soldats au regard immense et sans fond qu’il peint à l’acrylique, il n’est plus ce « nouchi », ce jeune issu de la rue abidjanaise qui voulait absolument devenir peintre contre l’avis de ses parents et de ses enseignants. Il n’est plus le street-artist de ses débuts, diplômé du Centre technique des arts appliqués de Bingerville. À 31 ans, sa carrière est lancée. Il expose ses nouveaux autoportraits à Londres, Johannesburg, Stockholm, vit entre New York et son pays, est encensé dans le magazine Paris-Match. Et quatre de ses tableaux figurent désormais dans la collection permanente de la célébrissime galerie britannique Saatchi. Du chaos a surgi la lumière…
J.-M.D.
SIMON NJAMI
LE RÉVÉLATEUR
IL EST LE COFONDATEUR de la prestigieuse Revue Noire en 1991 mais avoue ne pas savoir ce qu’est finalement un artiste africain. Il a dirigé, de 2001 à 2007, les historiques Rencontres africaines de la photographie de Bamako et fut commissaire de Africa Remix, cette formidable exposition sur les aspects les plus novateurs de la création continentale, présentée, de 2004 à 2007, à Paris, Londres, Tokyo ou Stockholm. Mais il se définit d’abord par son origine ethnique bassa. Ce Camerounais né en 1962 à Lausanne, en Suisse, vit depuis à Paris mais récuse le terme d’afropolitain. Njami est un paradoxe vivant, un paradoxe qu’il cultive avec arrogance tant ce romancier et ex-journaliste fuit les étiquettes. Simon est cet étonnant et perpétuellement étonné voyageur dans le monde de l’art contemporain africain, ce curateur passant d’une exposition de photos à Sao Paulo (1997) à la mise sur pied du premier pavillon dédié au continent lors d’une Biennale de Venise (2007), ou à la conception de cet événement rassemblant peintres, photographes et vidéastes autour de La Divine Comédie, qui s’est tenu cette année à Francfort. Bref, il est incontestablement un des grands découvreurs de talents, un des essentiels agitateurs d’idées esthétiques.
J.-M.D.
MAHMOUD CHELBI
TRUBLION TUNISOIS
PILIER DES ARTS et dénicheur de talents, Mahmoud Chelbi promène son âme de révolutionnaire depuis cinquante-cinq ans. Ce biologiste de formation, passionné d’art contemporain et d’art plastique, est le directeur de la galerie de l’espace El Teatro à Tunis et compte parmi les fondateurs de moments culturels clés, tel Le Printemps des arts organisé à La Marsa. Poète à ses heures, ce trublion de la culture a aussi travaillé à « ancrer, en synergie avec les autres arts, une expression citoyenne souvent provocatrice, et toujours ouverte sur la jeunesse ». Porteur de revendications et de projets, il rappelle que les artistes ont investi la rue le 5 décembre 2010 bien avant que la « révolution du jasmin » ne devienne officielle. Mais il lui importe plus que tout « de continuer de rêver d’une culture d’expression libre » en Tunisie, tout en constatant les défaillances de l’État à l’égard des arts. « L’équilibre sera difficile à trouver, mais notre imaginaire s’y attelle », assène celui qui estime que les élections législatives d’octobre dernier ont marqué une alternance, un grand pas vers la démocratie.
F.D.
TOURIA EL GLAOUI
AFRICA LONDRES
C’EST À ELLE que l’on doit l’unique foire européenne consacrée à l’art contemporain africain. Après un MBA à New York, cette Marocaine, fille du peintre Hassan El Glaoui, a travaillé dans la finance à Londres puis a organisé plusieurs expositions avant de fonder, en 2013, 1:54 (54 étant le nombre de pays du continent), un salon de l’art africain contemporain dont la 2e édition s’est tenue en octobre dernier dans la Somerset House, au coeur de la capitale britannique. Avec 27 galeristes et plus de 100 artistes internationaux, l’événement a rencontré un véritable engouement. Sponsorisée, entre autres, par la Fondation Sindika Dokolo, Touria pourrait même délocaliser la foire en Afrique dans les années à venir. Une réussite pleine de promesses pour cette jeune femme qui fait aussi partie des administrateurs de la Biennale de Marrakech.
S.T.
LEILA ALAOUI
ARRÊTS SUR IMAGES
LA JEUNE GARDE de la photographie arabe aime à faire parler d’elle. Et Leila Alaoui en fait partie. À 32 ans, cette Franco-Marocaine, aujourd’hui installée entre Marrakech et Beyrouth après avoir passé huit ans à New York, a gravi les échelons du succès à son rythme, celui d’une voyageuse, curieuse de ce qui l’entoure. Celle qui se dit fan de Robert Frank et de Richard Avedon n’hésite pas à jongler entre les thématiques d’identité et d’immigration, gardant toujours en tête la différence et le dialogue des cultures. Passée maître dans l’art du portrait, Leila a été saluée par les critiques pour sa série Les Marocains : elle a posé son studio dans les coins les plus reculés du Maroc pour immortaliser femmes, vieillards et enfants devant un fond noir. Son travail est exposé un peu partout depuis 2009 et elle a déjà été publiée dans de nombreux magazines, dont le New York Times. D’ailleurs, elle vient encore de se faire remarquer avec son projet vidéo Crossings lors de l’exposition Le Maroc contemporain à l’Institut du monde arabe (IMA) – jusqu’au 25 janvier 2015 –, à Paris, et rentre tout juste d’une résidence en Inde. Elle y a photographié 1 200 femmes dans un studio mobile, installé cette fois dans une usine de vêtements désaffectée.
S.T.
MARIE-CÉCILE ZINSOU
LE COMBAT MUSÉAL
ON LE LUI AVAIT DIT ET RÉPÉTÉ : « En Afrique, les gens sont trop pauvres pour aimer l’art. » Marie-Cécile, jolie métisse de 32 ans, fille de l’économiste béninois Lionel Zinsou, a prouvé le contraire. Un beau jour de 2005, elle a lancé la Fondation Zinsou à Cotonou. Accès gratuit aux salles, des ateliers pour enfants, une bibliothèque ; plus de 4 millions de visiteurs et plus d’une vingtaine d’expositions organisées en neuf ans… En novembre 2013, elle ouvre un musée d’art contemporain à Ouidah qui réunit des oeuvres des grands plasticiens du continent. Un superbe travail récompensé en juillet dernier : la Fondation a reçu le Praemium Imperiale (prix d’encouragement pour les jeunes artistes), sorte de prix Nobel des arts décerné par la Japan Art Association.
J.-M.D.
OMAR VICTOR DIOP
JEUNE HOMME MODERNE
DIPLÔMÉ DE L’ÉCOLE SUPÉRIEURE DE COMMERCE de Paris, il était autrefois un brillant cadre sup’. Mais la photo, jusque-là hobby de week-end, va devenir chez lui une quête esthétique. En 2011, premier coup d’éclat du Sénégalais, sa magnifique exposition Le Futur du beau fera sensation aux Rencontres de Bamako : sur le thème de « la mode durable en 2112 », il shoote des mannequins habillés de papier kraft, d’éponges et autres matériaux de récupération. Tout son univers est déjà là : fantaisie débridée, jeu avec les codes de la mode et, surtout, en avant toute vers le futur ! Donc rien à voir avec les Seydou Keïta ou Malick Sidibé qui cultivent un « art de la nostalgie presque mélancolique », dit-il. En 2013, c’est Le Studio des vanités, une série de portraits d’artistes, d’animateurs de télé… Alors, nouvelle valse des étiquettes : il serait l’un des tenants du pop art ! Rien à voir pourtant avec le cynisme d’un Andy Warhol. La preuve ? Il délivre avec Diaspora, en 2014, douze autoportraits où il s’incarne dans divers personnages historiques noirs (voir « Portfolio », p. 104). Histoire de réfléchir, à 34 ans, sur son identité. Pop ? Peutêtre pas… Jeune Africain moderne et grand du 8e art africain, assurément !
J.-M.D.