interview
« L’État ne fait pas son travail »
Par
fridah
Publié le 21 juillet 2016 à 08h57
Karim Ben Smaïl, patron de la maison d’édition tunisienne Cérès, dénonce l’ingérence des autorités dans le secteur du livre.
AM : Un collectif d’éditeurs a interpellé le ministère de la Culture sur les « ratés » de la participation de la Tunisie au Salon du livre de Genève fin avril…
Karim Ben Smaïl : La Tunisie était hôte d’honneur du Salon. Mais le ministère semble avoir estimé que l’invitation lui était adressée personnellement. Résultat : il a généreusement offert 550 m² à ses offi ces et instituts et a laissé 100 m² aux éditeurs du pays sans jamais les associer à l’événement. En mettant du contenu, les retombées auraient été positives auprès d’un public qui n’entend parler que de terrorisme. Il faut que l’État soit au service de la culture.
Qu’entendez-vous par là ?
En 2011, avec la fi n de la censure, l’année a été fl orissante. Mais dès 2012, des coupes ont été faites dans le budget de la culture alors que les achats publics couvrent jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires d’un éditeur. Depuis, l’édition indépendante s’éteint doucement alors que le ministère alloue de grosses sommes à ses publications. Bien sûr, l’État doit publier sur des sujets spécifi ques n’ayant pas de logique commerciale ou éditoriale mais quand il se mêle d’ouvrages grand public, il fait une concurrence déloyale à un secteur qu’il est censé protéger. On assèche le secteur privé et on irrigue le public – dont le Centre national de la traduction. Des fonctionnaires traduisent mais sur quelles normes éditoriales ? Comment sont choisis les titres ? Pour quel public ? Où sont ces livres ? On ne les voit jamais ! Depuis vingt ans, les offi cin es créées par Ben Ali ont fait main basse sur le secteur. Mais à la faveur de la révolution, nous pouvons exiger de la transparence.
À ce sujet, vous citez le livre Je suis Bardo en exemple…
Soit on est dans la politique, soit dans l’édition : on n’appelle pas un livre Je suis Bardo ! Cet ouvrage payé sur les deniers publics est un mélange des genres. Son absence en librairie, ses quarante-trois auteurs, son grand format, sa mise en page obsolète, ses deux versions peu maniables mais coûteuses et une coquille en quatrième de couverture démontrent que l’État n’est pas un professionnel. Il faut que la captation de l’État cesse !