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Kad Merad : le film de sa vie

Par Michael.AYORINDE
Publié le 20 février 2011 à 00h13
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Rebelote en juillet dernier avec « L’Italien », réalisé par Olivier Baroux, son complice de toujours. Celui avec qui il a partagé l’antenne de la radio Ouï FM en 1991 avant de former un duo comique explosif à la télé. À leur actif, « La Grosse Émission » sur la chaîne Comédie ! de 1999 à 2001. C’est ce succès qui lui a ouvert petit à petit les portes du grand écran puis lui a apporté la reconnaissance de ses pairs avec un César du meilleur second rôle en 2007. Dans ce dernier long-métrage, Kad Merad enfile le costume de Dino, vendeur automobile à Nice. Tout sourit au commercial italien jusqu’au jour où sa vraie identité lui revient en pleine figure : Dino est arabe et s’appelle en réalité Mourad. Le rôle est taillé sur mesure pour l’acteur, lui-même né en 1964 à Sidi Bel Abbès en Algérie. Un pays qu’il quitte dans le landau avant que sa famille ne s’installe à Ris-Orangis, dans la région parisienne.

Est-ce que le rôle de Dino vous a semblé évident ?

Dès qu’Olivier m’a raconté l’histoire de ce type qui se fait passer pour un Italien alors qu’il est Algérien, j’ai tout de suite été intéressé. Pas simplement, parce qu’elle rejoint d’une certaine manière mon histoire personnelle, mais parce que je trouve que c’est un sujet intéressant. Après, c’est sûr qu’il était plus facile pour moi de jouer ça que pour n’importe quel « blanc-bec » ! (rires)

Une sorte de retour aux sources ?
Vous savez, je ne me suis jamais coupé de mes racines, je ne les ai jamais reniées. Mon père est algérien et ma mère est berrichonne. Moi, je vis en France depuis toujours. Je n’ai jamais baigné dans une ambiance algérienne à la maison, sauf quand mon père préparait le couscous en écoutant de la musique arabe. Ça s’arrête là.

Mais avez-vous souffert comme le personnage de Mourad ?
Non, pas à ce point-là. Je n’ai jamais été jusqu’à avoir la double vie de Mourad. Mais c’est vrai que j’ai failli m’appeler François à un moment donné. Je n’aurais jamais imaginé que ça me toucherait un jour. Au début de ma carrière, quand je jouais au théâtre, comme on m’avait refusé un rôle dans un projet télévisuel à cause de mon prénom, j’avais décidé de m’appeler François. Heureusement, ça a duré un seul après-midi ! J’ai alors pensé à mon père, qui avait lui-même changé de prénom. Le fait qu’il se soit appelé toute sa vie Rémi à la place de Mohamed pour mieux s’intégrer en France, c’est terrible en définitive. Au final, j’ai tenu bon.

Vous avez ôté vous-même une syllabe à votre prénom…
Kaddour, ça nous place directement dans un autre truc. Si c’est juste un prénom, c’est un peu plus pour les gens. C’est une situation de fou quand on y pense, savoir qu’un prénom peut changer le regard des gens sur vous…

Justement, c’est un hasard si ce film intervient en plein débat sur l’identité nationale ?
On ne l’a pas fait exprès. Maintenant, on va dire que ce film est la contribution d’Olivier et moi-même au débat. Pour nous, un Français, c’est un type qui a des origines et des racines, qui est parfois un fils d’immigré et qui ne peut pas le vivre à fond. Le problème est là. Aujourd’hui, je ne connais pas un Français qui n’ait pas des origines étrangères. Donc qu’est-ce que ce débat sur l’identité française ? C’est un délire ! Je n’ai pas peur de dire que c’est une façon de draguer les électeurs du Front National.

On est loin de votre image de guignol !
Avec Olivier, on a simplement fait une comédie légère en mettant pour la première fois des convictions sur la table. Et ce qu’on aimerait, c’est que les gens discutent à la sortie du cinéma, qu’ils parlent de ce qu’ils ont vu, qu’ils essaient de comprendre comment on arrive à ce paroxysme : changer de prénom pour se faire accepter.

On découvre aussi des scènes de prière émouvantes dans le film, c’est rare…
Je trouve qu’on en donne une bonne vision. On ne voulait pas que la religion soit une attraction. J’ai vraiment insisté pour qu’Olivier se place comme quelqu’un qui regarde une personne qui prie, pas comme dans un spectacle. Il y a beaucoup de pudeur dans la prière. J’espère que les non musulmans trouveront que cette religion est belle et que ça reste juste des hommes et des femmes qui parlent à Dieu. Pour moi, qui ne suis pas croyant, c’est ce qu’il y a de plus beau, que ce soit dans les religions musulmane, catholique ou juive. Ce sont des moments de pure émotion.

Est-ce dans un souci de dédiaboliser l’islam ?
Espérons-le ! Quand on voit l’imam qui conseille Mourad, il est plutôt cool, il a un Black Berry pour consulter les horaires des prières, il est moderne. C’est loin de l’image de l’imam qui vocifère comme on voit tout le temps à la télé. Il y a peut-être 1 % d’intégristes chez les pratiquants. Dans L’Italien, pour une fois, on entend « allah akbar » sans que ce soit lié au terrorisme.

L’humour est-il la meilleure arme pour aborder ces sujets ?
Rappelez-vous La vie est belle, de Roberto Benigni sur les camps de concentration. Il n’y a pas un sujet plus dramatique. En même temps, qu’est-ce qu’on a pu se marrer !

Depuis Bienvenue chez les Ch’tis, vous enchaînez les films et les succès, avez-vous l’impression de vivre un rêve éveillé ?
Je suis en phase avec moi-même, ce n’est pas un hasard si j’en suis là. Certes, j’ai eu de la chance mais j’ai énormément travaillé. Je tourne beaucoup, c’est mon rythme. Là, je vais naturellement me faire plus rare puisque je serai au Théâtre de Paris en septembre pour la pièce Rendez-vous. Ça tombe plutôt bien, car les gens ont en peut-être marre de voir ma tête au cinéma !

Propos recueillis par Mathieu Ropitault