Femi Kuti, l’infatigable combattant
Voilà trois semaines qu’il arpente à nouveau les routes « défoncées » de Lagos, la capitale économique nigériane. Retour à la réalité après une tournée en Europe. Retour à « la maison » aussi, dans sa loge de l’Africa Shrine. Aux murs du temple de l’afrobeat, qu’il a rouvert avec sa soeur Yeni en 2000, des portraits de Patrice Lumumba, Marcus Garvey, King Sunny Adé et, bien sûr, du paternel, Fela… Autant modèles politiques que musiciens, échos à l’infatigable combat que le fils aîné de la smala Kuti poursuit sur scène et en galettes.
Après l’explosif Shoki Shoki (1997), Fight to Win (2001), un album Live (2004) et l’audacieux Day by Day (2008), le « Prince de l’afrobeat » sort son cinquième opus ce mois-ci. Son titre ? « Ce sera Africa for Africa », dit-il. Soit une douzaine de morceaux enregistrés à Lagos, et travaillés à Paris sous la houlette de Sodi, son producteur depuis plus de quinze ans. « Très politique, très dansant, très profond. Une autre étape dans ma carrière, je n’aime pas les répétitions », résume-t-il enthousiaste.
Fidèle à sa réputation d’explorateur, Femi Kuti et son groupe, le Positive Force, y poussent « la recherche de l’afrobeat un peu plus loin ». Lui, le saxophoniste, y joue-t-il également de la trompette ? Il sourit. « À peine, même si c’est le premier instrument que mon père m’a mis entre les mains quand j’avais 8 ans, raconte-t-il amusé. Un jour, il a arrêté d’en jouer et me l’a donnée. Je ne savais pas comment ça marchait, alors je l’ai mise sous mon lit et je n’y ai plus jamais touché. S’il avait joué de la trompette, j’aurais fait de la trompette. Mais il a choisi le saxophone et m’en a offert un à 16 ans. Alors, j’ai suivi ses pas. » Il s’interrompt. « Vous savez, petit à petit, je me suis fait un nom, en franchissant des frontières, notamment depuis le succès du morceau “Beng Beng Beng”, mais je sais qu’à chaque sortie d’album on m’attend au tournant. Ce n’est pas toujours évident d’avoir un père comme le mien. » Forcément. Le référent en impose. Fela Anikulapo Kuti. Le génial et subversif inventeur de l’alchimie afrobeat. Vint – sept femmes, une vie exubérante dans les bas-fonds de Lagos des années 1970. Une vie d’alcool, de drogue et de combat contre les affres des dictatures militaires. Bref, une icône dont on s’affranchit difficilement. Malgré le décès du maître, en 1997, et la pointe d’amertume qui va avec. « Il ne m’a pas parlé pendant six ans. Je suis toujours en colère contre lui pour certaines choses, mais mon enfance était stimulante, je n’ai aucun regret. » Pas un seul ? Il trifouille ses cheveux grisonnant avec l’air absent de ceux que les aveux dérangent. « Si, ne pas être allé à l’école, concède-t-il. Fela estimait que c’était un acte colonial. Il disait : “Je n’y suis pas allé et j’ai réussi.” Difficile de s’opposer à lui. » Il n’empêche.
Femi Kuti s’est quand même démarqué du paternel dans son style de vie « sans drogue, ni alcool ». Pour le reste, côté musique et engagement, il est bien l’héritier du « Black President ». Et il n’est pas le seul. Seun, le petit dernier, a emboîté le pas, mais les histoires de famille sont passées par là. Alors, terminée, la brouille ? Il fait la moue. « On se salue, c’est très cordial, mais on ne se parle pas. Cela ne l’empêche pas de se produire ici. » Distrait, Femi reprend sa trompette. Jette un coup d’oeil à la grande scène, où ses musiciens répètent, et revient aux basiques comme pour mieux éviter les sujets qui fâchent. « Vous savez, quand je vois notre pays, la pauvreté, la corruption, les coupures d’électricité en permanence… Le Nigeria, un riche pays producteur de pétrole ? On devrait avoir honte. Qu’est-ce qui cloche chez nous ? Pourquoi nos dirigeants sont-ils si mauvais ? Le problème, c’est qu’ils ne sont pas les seuls responsables. Les Nigérians aussi feraient n’importe quoi pour de l’argent. » Le combat continue. CQFD…
Julie Vandal, correspondance de Lagos