Exercices de style
C’est d’abord le style qui frappe dans les livres de Chimamanda Ngozi Adichie. Cette langue fluide, facile, limpide comme si elle était parlée, et en même temps très travaillée, avec des mots choisis, du rythme, du tempo. Même sur plus de 500 pages, l’écrivaine ne s’essouffle jamais. En coureuse de fond littéraire, elle prend le temps de donner de l’épaisseur à ses personnages, dont elle révèle le caractère par touches, par le biais de situations et de réflexions bien senties. C’est pour cela qu’elle peut écrire les choses les plus tranchantes sans jamais être choquante. Son dernier roman, Americanah, parle de race et de discrimination dans l’Amérique d’Obama, et des changements en cours au Nigeria. Et il n’est tendre avec aucun des deux pays. L’héroïne, Ifemelu, est une jeune Nigériane, qui a fait ses études au États-Unis et rentre au pays après quinze ans d’éloignement.
Des similitudes avec la vie de l’auteure : née au Nigeria en 1977, elle est partie à 19 ans étudier dans le Connecticut. Son père a été le premier professeur de statistiques de l’université du Nigeria et sa mère la première femme à être responsable du bureau de la scolarité dans le même établissement. Elle a grandi à Nsukka, dans la maison jadis occupée par le grand auteur Chinua Achebe, qu’elle cite volontiers comme une source d’inspiration. « Le lire m’a donné la permission d’écrire à propos de choses que je connaissais bien. »
Chimamanda partage aujourd’hui sa vie entre les deux pays et ces allers-retours se retrouvent dans son œuvre, évoquant la condition sociale, sexuelle et raciale de jeunes Nigérians en Afrique et en Amérique. Elle dit qu’elle écrit depuis qu’elle sait parler. Mais c’est L’Hibi scus pourpre (2003) qui la révèle à la critique. Et c’est L’Aut re moi t ié du solei l (2008), évoquant la guerre du Biafra et couronné par le prestigieux Orange Prize pour la fiction en 2007, qui l’assoit comme une voix littéraire qui compte. Il a été adapté au cinéma. Et l’actrice Lupita Nyong’o a acheté les droits d’Americanah en vue d’un long-métrage qui sera produit par Brad Pitt !
L’Hibi scus pourpre, qui évoque, entre autres, l’histoire d’un homme battant sa femme, a été perçu comme un livre « féministe ». Le mot est lâché. Le féminisme, c’est le cheval de bataille de Chimamanda qui se décrit comme « une Africaine heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du brillant à lèvres et des talons hauts pour elle-même ». « Mon arrière-grand-mère a fui pour épouser l’homme de son choix. Elle s’est rebellée contre le fait qu’elle ne pouvait accéder à la terre parce qu’elle était une femme. Elle ne connaissait pas le mot féministe. Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en était pas une. »
Féminisme qu’elle défend aussi lors d’un discours en 2012 qui fera le tour du web et du monde, et sera publié en français le 26 février dernier sous le titre : « Nous sommes tous des féministes ». « Le féminisme est l’affaire de tous et pas seulement des femmes. Je pense sincèrement que tous, hommes comme femmes, nous devons être féministes. » Un message qu’elle espère faire passer aux plus jeunes. Pas impossible : des passages du discours ont été samplés par Beyoncé dans le titre « Flawless » de son dernier album. Who run the world ? Girls !