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CHÉRI SAMBA

Par Michael.AYORINDE
Publié le 28 mai 2013 à 14h42
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SA PAROLE SE CHERCHE parfois et il s’en excuse. « Lire et écrire ? Je me débrouille ! » précise-t-il en passant. La politesse de ceux qui, enfants, « n’ont pas été gâtés par les livres ». Mais c’est là précisément toute la force de Chéri Samba, de son vrai nom Samba wa Mbimba Nzinga. Véritable bluesman de la peinture (autodidacte, il a été préservé de tout enseignement académique), ce fils de forgeron est né en 1956 dans la bourgade de Kinto-Mvuila (Bas-Congo). Dès 1972, il tentera l’aventure kinoise. Il se fraie un chemin parmi les peintres illustrateurs qui exposent dans les rues de la capitale congolaise. Et va imposer son pop art à la sauce saka-saka.

Chez lui, pas de boîte de soupe Campbell comme chez son « collègue » Andy Warhol, mais le fourmillement de la société congolaise, ses maux et ses joies. Ses armes : des grands aplats de couleur vive, un trait ferme façon bande dessinée et ses bulles ou légendes. Dans les années 1980, il est repéré par les grands galeristes européens, la cote de ses toiles grimpe en flèche, il connaît la consécration en participant aux célèbres expos Magiciens de la Terre (Paris, 1989) et Africa Remix (2005). Le MoMA de New York et le Centre Pompidou de Paris acquièrent des oeuvres de celui qui est devenu l’un des peintres africains les plus connus mondialement. La preuve avec ce Vuitton Travel Book, qui sortira le 2 mai : la griffe de luxe lui a confié le soin d’illustrer un carnet de voyage consacré à la capitale française. Il nous reçoit dans ce qui lui tient lieu d’atelier parisien. Interview-portrait du maître.

LE MOMA DE NEW YORK ET LE CENTRE POMPIDOU DE PARIS ONT ACQUIS DES OEUVRES DE CELUI QUI EST DEVENU L’UN DES PEINTRES AFRICAINS LES PLUS CONNUS MONDIALEMENT.

AM : Vos tableaux ressemblent à des chroniques de la vie congolaise, et africaine plus généralement…

Je suis un peintre journaliste. C’est pourquoi je me suis très vite mis à introduire des légendes ou des bulles dans mes oeuvres pour commenter des événements, interpeller les gens, pour faire rire aussi.

Précisément, dans certaines de vos créations, vous ne mâchez pas vos mots à l’encontre des dirigeants du continent…

Nos décideurs ne voient qu’eux-mêmes. Leurs décisions leur sont dictées quelque part ailleurs. Ce qui est déplorable chez nos dirigeants, c’est qu’ils ne s’appuient pas sur leur propre culture. Il y a des hommes politiques congolais qui m’ont commandé des oeuvres. Le problème, c’est que, des années plus tard, j’en ai retrouvé certaines en Occident. Ils les avaient vendues ! Comment nos enfants pourront-ils connaître nos créations si rien ne reste sur le continent ?

Vous vous définissez comme un peintre populaire. Qu’est-ce que cela signifie ?

Une peinture populaire vient des masses et tout le monde la comprend. J’avoue que, comme beaucoup d’Africains, la création contemporaine me dépasse. Mais j’aime tous les artistes. Il faut accepter leur travail tel quel. En ce qui me concerne, je veux que l’on saisisse mes oeuvres dans toute leur noblesse, leur universalité, avant d’y mettre des étiquettes.

Difficile de brosser la société congolaise sans évoquer la rumba. Or, vous ne mettez jamais de musiciens en scène…

Peindre des musiciens, mais pour transmettre quel message ? Je suis un mélomane pourtant. J’adore toute musique qui sonne bien à mes oreilles, la rumba congolaise mais aussi les chansons anglaises ou américaines. En ce moment quand je peins, j’écoute beaucoup Abracadabra, le dernier album de Koffi Olomidé.

Combien de tableaux avez-vous produits depuis vos débuts ?

Je n’en ai aucune idée, malheureusement ! À mes débuts, je pouvais réaliser dix oeuvres par semaine ! Maintenant, la création d’un seul tableau peut me prendre des mois ! Je suis le même, mais je ne suis plus le même…

Est-ce que Samba est toujours le « chéri » de ces dames, raison d’ailleurs de votre surnom ?

Dans le temps, la vie amoureuse était agréable, tranquille. Maintenant, tout a changé avec le sida… Je suis désormais un homme responsable : j’ai plusieurs femmes et une dizaine d’enfants. Mais je suis un mauvais papa parce que je ne parviens pas à m’occuper réellement d’eux, depuis que mon travail me conduit où je dois aller, souvent loin du Congo.

Vous venez d’illustrer un Louis Vuitton Travel Book consacré à Paris. C’était un travail différent pour vous ?

Absolument pas. Les gens de Vuitton aimaient mes couleurs chaudes, violentes. Je ne suis donc pas sorti de ma peau. Mais ça a été un travail fou ! À la fin, je ne dormais plus ! J’ai mis plus de huit mois à faire ces 120 dessins ! On m’a suggéré des lieux de la capitale à illustrer, j’allais les voir, je prenais des photos. Puis je concevais, à Kin, ces dessins qui restent, pour moi, des tableaux miniatures.

Vos oeuvres se vendent désormais à prix d’or. Qu’est-ce que l’argent vous a apporté ?

D’abord la liberté de créer, de dessiner ce que je veux sans aucune limite.

Vos projets ?

Je vais mettre sur pied pour la première fois une exposition personnelle qui comportera surtout des oeuvres que je vais spécialement concevoir pour la circonstance. Elle devrait se tenir à Londres, fin 2013-début 2014.

Par Jean-Michel DENIS