Chadwick Boseman,
la mort d’un roi
Il aura caché sa maladie jusqu’au bout. Décédé d’un cancer à 43 ans le 28 août, Chadwick Boseman avait notamment incarné le roi du Wakanda dans Black Panther. L’acteur avait récemment dénoncé l’impact du Covid-19 sur les Afro-Américains et affiché son soutien à Kamala Harris, la colistière de Joe Biden.
Tournée le 15 avril, la courte vidéo avait choqué plus d’un internaute. Ce jour-là, à l’occasion du Jackie Robinson Day (où les États-Unis commémorent l’entrée du premier joueur afro-américain au sein de la Ligue majeure de baseball, en 1947), Chadwick Boseman s’était adressé à ses fans. L’acteur, qui avait incarné Jackie Robinson à l’écran en 2013 dans le biopic 42 de Brian Helgeland, portait une casquette frappée du numéro du maillot du sportif. Autour du cou, un médaillon représentant le continent africain. Mais ce qui sautait aux yeux, c’était son extrême maigreur. Un dépérissement que sa barbe ne parvenait pas à dissimuler. Inquiets, des fans s’étaient demandé si l’acteur « perdait du poids pour préparer un rôle » (après tout, afin d’incarner James Brown dans Get On Up, il s’était astreint à cinq heures de danse par jour !). Mais d’autres internautes s’étaient moqués sur les réseaux sociaux, soupçonnant la star de Black Panther de se droguer et le surnommant « Crack Panther ».
Dans cette vidéo, l’aspect physique de Chadwick Boseman avait rendu quasi inaudible son message engagé, où il pointait les ravages du Covid-19 chez les Noirs aux États-Unis : « Les statistiques montrent que les Afro-Américains sont les plus touchés » par la pandémie, rappelait-il. « Nous sommes en première ligne : conducteurs de bus, personnel soignant… » Remarquez ce « Nous » : fils d’un ouvrier du textile et d’une infirmière, la star d’Hollywood s’identifiait aux classes populaires, souvent démunies face à cette maladie, dans un pays où un séjour à l’hôpital peut vite s’avérer ruineux (voir à ce sujet « Le Covid-19, symbole des inégalités raciales aux États-Unis » sur notre site).
« Les Afro-Américains ont une histoire qui a des milliers d’années et s’est perdue dans l’esclavage. Il faut tenter de retrouver une place, de progresser, de s’élever dans la société contre une culture opprimante », disait Chadwick Boseman en 2014 au journal Le Figaro lors de la sortie du biopic sur James Brown – né comme lui en Caroline du Sud. Des propos tenus bien avant la vague de protestation Black Lives Matter engendrée par la mort de George Floyd le 25 mai dernier, à Minneapolis. Bien avant, aussi, à Kenosha (Wisconsin), l’acharnement des forces de l’ordre contre Jacob Blake – père de famille noir criblé de sept balles dans le dos le 23 août devant ses enfants –, offrant un contraste effarant avec la passivité d’un cordon de police, deux jours plus tard, devant Kyle Rittenhouse, militant pro-Donald Trump blanc armé d’un fusil d’assaut et qui venait d’abattre deux manifestants !
Face à l’ampleur abyssale des inégalités raciales aux États-Unis, toujours enkystées plus d’un demi-siècle après le mouvement des droits civiques, le sacre du roi T’Challa par le public comme par la critique paraît bien dérisoire… Dans un entretien accordé le 2 septembre au magazine américain GQ, l’acteur anglo-nigérian John Boyega – premier acteur noir (en quatre décennies…) à figurer, en 2015, dans la saga Star Wars – dénonce avec amertume une diversité de façade, destinée à remplir des quotas. Finn, stormtrooper renégat passé dans les rangs des rebelles, a été surévalué par Disney dans les bandes-annonces et la promotion de la trilogie… pour finalement se résumer à un personnage secondaire, jamais approfondi.