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Rencontre

Chadwick Boseman,
la mort d’un roi

Par Cédric Gouverneur - Publié en septembre 2020
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Il aura caché sa maladie jusqu’au bout. Décédé d’un cancer à 43 ans le 28 août, Chadwick Boseman avait notamment incarné le roi du Wakanda dans Black Panther. L’acteur avait récemment dénoncé l’impact du Covid-19 sur les Afro-Américains et affiché son soutien à Kamala Harris, la colistière de Joe Biden.

Tournée le 15 avril, la courte vidéo avait choqué plus d’un internaute. Ce jour-là, à l’occasion du Jackie Robinson Day (où les États-Unis commémorent l’entrée du premier joueur afro-américain au sein de la Ligue majeure de baseball, en 1947), Chadwick Boseman s’était adressé à ses fans. L’acteur, qui avait incarné Jackie Robinson à l’écran en 2013 dans le biopic 42 de Brian Helgeland, portait une casquette frappée du numéro du maillot du sportif. Autour du cou, un médaillon représentant le continent africain. Mais ce qui sautait aux yeux, c’était son extrême maigreur. Un dépérissement que sa barbe ne parvenait pas à dissimuler. Inquiets, des fans s’étaient demandé si l’acteur « perdait du poids pour préparer un rôle » (après tout, afin d’incarner James Brown dans Get On Up, il s’était astreint à cinq heures de danse par jour !). Mais d’autres internautes s’étaient moqués sur les réseaux sociaux, soupçonnant la star de Black Panther de se droguer et le surnommant « Crack Panther ».

Dans cette vidéo, l’aspect physique de Chadwick Boseman avait rendu quasi inaudible son message engagé, où il pointait les ravages du Covid-19 chez les Noirs aux États-Unis : « Les statistiques montrent que les Afro-Américains sont les plus touchés » par la pandémie, rappelait-il. « Nous sommes en première ligne : conducteurs de bus, personnel soignant… » Remarquez ce « Nous » : fils d’un ouvrier du textile et d’une infirmière, la star d’Hollywood s’identifiait aux classes populaires, souvent démunies face à cette maladie, dans un pays où un séjour à l’hôpital peut vite s’avérer ruineux (voir à ce sujet « Le Covid-19, symbole des inégalités raciales aux États-Unis » sur notre site).

Chimiothérapies entre les tournages 
Chadwick Boseman avait, lui, les moyens financiers de faire appel aux meilleurs médecins et aux meilleurs traitements. Mais le 28 août dernier, à l’âge de 43 ans, il a succombé au cancer du côlon qu’il combattait depuis quatre ans dans le plus grand secret. Mis à part son épouse, Taylor Simone Ledward, sa famille et son agent, nul n’était au courant de sa maladie. Pas même les réalisateurs Ryan Coogler (Black Panther) ou Spike Lee (Da 5 Bloods). Ses proches révèlent qu’il a enchaîné entre les scènes « d’innombrables opérations et chimiothérapies ». Des propos énigmatiques, tenus en 2017, prennent désormais tout leur sens : interrogé par le Huffington Post sur les difficultés du tournage de Black Panther, Boseman avait répondu : « Oh, vous n’avez pas idée… Un jour, je vivrais pour vous raconter toute l’histoire. » Il n’a pas survécu. Mais il aura lutté, et tourné, jusqu’au bout : il sera fin novembre à l’affiche d’un drame musical avec Denzel Washington, Ma Rainey’s Black Bottom, disponible sur Netflix.
 
Le roi T’Challa et la révolution Black Panther 
De l’acteur, le public retiendra sans doute le personnage du roi T’Challa : Black Panther a en effet constitué une révolution symbolique. Enfin un film de super-héros dans lequel les Noirs ne sont pas cantonnés à des seconds rôles, enfin un film hollywoodien où l’Afrique est présentée de façon positive ! Rappelons que l’action a pour cadre le royaume imaginaire du Wakanda, qui par la grâce d’un minerai unique au monde, bénéficie secrètement des technologies les plus avancées.

« Les Afro-Américains ont une histoire qui a des milliers d’années et s’est perdue dans l’esclavage. Il faut tenter de retrouver une place, de progresser, de s’élever dans la société contre une culture opprimante », disait Chadwick Boseman en 2014 au journal Le Figaro lors de la sortie du biopic sur James Brown – né comme lui en Caroline du Sud. Des propos tenus bien avant la vague de protestation Black Lives Matter engendrée par la mort de George Floyd le 25 mai dernier, à Minneapolis. Bien avant, aussi, à Kenosha (Wisconsin), l’acharnement des forces de l’ordre contre Jacob Blake – père de famille noir criblé de sept balles dans le dos le 23 août devant ses enfants –, offrant un contraste effarant avec la passivité d’un cordon de police, deux jours plus tard, devant Kyle Rittenhouse, militant pro-Donald Trump blanc armé d’un fusil d’assaut et qui venait d’abattre deux manifestants !

Face à l’ampleur abyssale des inégalités raciales aux États-Unis, toujours enkystées plus d’un demi-siècle après le mouvement des droits civiques, le sacre du roi T’Challa par le public comme par la critique paraît bien dérisoire… Dans un entretien accordé le 2 septembre au magazine américain GQ, l’acteur anglo-nigérian John Boyega – premier acteur noir (en quatre décennies…) à figurer, en 2015, dans la saga Star Wars – dénonce avec amertume une diversité de façade, destinée à remplir des quotas. Finn, stormtrooper renégat passé dans les rangs des rebelles, a été surévalué par Disney dans les bandes-annonces et la promotion de la trilogie… pour finalement se résumer à un personnage secondaire, jamais approfondi.

De Whoopi Goldberg à Barack Obama 
Parmi les innombrables hommages à l’acteur, citons celui de Whoopi Goldberg : l’héroïne de La Couleur pourpre a suggéré à Disney de « mettre en place une attraction sur le Wakanda en l’honneur de Chadwick Boseman », ajoutant que l’« on n’a pas besoin d’une autre attraction sur La Reine des neiges ». Barack Obama a déploré la mort d’un acteur, « jeune, doué et noir », qui avait « utilisé son pouvoir pour offrir (aux Afro-Américains) des héros à admirer ». « Il est parti trop tôt, mais sa vie a fait la différence », a quant à elle commenté Kamala Harris, colistière de Joe Biden, le candidat démocrate à la présidentielle de novembre. Le 12 août, le dernier tweet de Chadwick Boseman appelait implicitement à voter pour le ticket Biden-Harris, contre Donald Trump.