
Ksapa, une entreprise en mission de terrain
En Côte d’Ivoire et au Ghana, l’application polyvalente SUTTI propose aux petits paysans des services sur mobile, financés par les coopératives agricoles locales et les distributeurs européens.
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Le paradoxe est qu’ils nourrissent la planète, mais ne parviennent pas toujours à nourrir leurs familles... Avec environ 500 millions de fermes – un chiffre à comparer aux 30 millions d’exploitations de l’agriculture industrielle et mécanisée - les petits paysans produisent entre 50 et 70% de l’alimentation mondiale, selon FAO. « Ces fermes, ce sont un ou deux hectares en moyenne, gérés familialement », rappelle Farid Baddache, président et cofondateur de Ksapa, qui se définit comme « une entreprise à mission », avec des objectifs sociaux et environnementaux, et dont le nom signifie « sagesse, écoute attentive » dans la langue des Sioux. Disposant de bureaux à Paris, Londres et New York, Ksapa s’est spécialisée, à l’ère du changement climatique, « dans l’accompagnement des transitions durables ». « On est entouré de produits issus de l’agriculture familiale d’Afrique ou d’Asie : café, chocolat, sucre, coton pour les textiles, caoutchouc des pneus, aloe vera dans les soins etc. Or, les cinq cents millions de familles qui les produisent ne font parfois qu’une seule récolte par an. Nous cherchons à les aider par l’intermédiaire d’une application digitale, accessible sur leur téléphone mobile », explique-t-il.
Diversifier les cultures

L’application SUTTI (Sustainable -« durable »- Transparent, Traçable, Impact) entend « les aider à accéder à de meilleures techniques agricoles », en leur suggérant de nouvelles plantes rémunératrices à cultiver, en leur apportant des conseils afin de mieux gérer leurs stocks, en diminuant les coûts de production, notamment ceux des intrants : « L’objectif est d’améliorer et de renforcer les revenus des petits paysans tout en ayant un impact environnemental. On fait ainsi la promotion du compost. Produire mieux, dépenser moins, mais aussi se diversifier pour ne plus dépendre d’une seule culture » - et donc d’un seul cours, forcément fluctuant. Les paysans sont ainsi informés via SUTTI des prix du marché.

« Aux cultivateurs de canne à sucre, on propose par exemple de planter en complément, entre deux récoltes, de la menthe, des pommes de terre etc… » Les ONG de développement rural sont sollicitées par Ksapa afin d’identifier les besoins sur le terrain, et « s’assurer que le transfert de technologie proposé soit bien le plus pertinent par rapport au contexte ». L’application fonctionne donc même sur des téléphones portables relativement anciens, avec une connectivité réduite, et comprend une fonction « synthèse vocale » à destination des paysans ne sachant pas lire. Ksapa fait appel à des « relais locaux », qui vont voir les paysans et effectuent des démonstrations du fonctionnement de l’application : « Un référent qui passera ensuite une fois par mois pour suivre l’implantation du projet. Les paysans n’ont évidemment rien à payer, précise bien Farid Baddache : le coût est assumé par les coopératives ou les acheteurs en gros ». Les distributeurs européens, après l’exportation éventuelle des denrées agricoles produites, ont en effet des intérêts directs à participer au financement de SUTTI, susceptible notamment de participer à leur exigence de traçabilité. « Nous organisons des coalitions public-privé, entre les ministères de l’agriculture des pays concernés, les coopératives paysannes, les acheteurs en gros, les industriels qui achètent à l’export. Nous avons des dizaines de milliers de paysans partenaires, et notre objectif est d’en atteindre 750 000 à l’horizon 2027 ».
Booster les chaînes de valeur ivoiriennes

Déjà bien implantée en Asie – Inde, Sri Lanka, Indonésie, Philippines -, l’application SUTTI de Ksapa s’intéresse désormais à l’Afrique, avec deux premiers projets au Ghana et en Côte d’Ivoire, et prochainement à Madagascar : le ministre de l’agriculture ivoirien Kobenan Kouassi Adjoumani a signé en juin dernier avec Ksapa et la banque Société générale un accord afin de développer une offre de transformation des chaînes de valeur (CDV) agricoles, via l’accès aux services de digitalisation ainsi qu’au financement. L’objectif est de permettre aux coopératives agricoles ivoiriennes partenaires d’investir pour améliorer la situation des paysans membres, par le renforcement de leurs liens avec les acteurs industriels, dans le cadre du projet national IREN-AGRI (Initiative pour le Renforcement des chaînes de valeur Agricoles »). « Les paysans africains sont bien connectés, le paiement sur mobile fait déjà vraiment partie des usages, davantage encore qu’en Asie », souligne Farid Baddache.
