Justine Sow
Retisser le fil de l’histoire
La journaliste, autrice et dessinatrice belge d’origine guinéenne signe Wax Paradoxe, une bande dessinée passionnante et documentée sur l'histoire et les enjeux actuels de ce tissu chatoyant, parcourue d’une quête identitaire de son héroïne.
AM : Quels sont les paradoxes du wax?

Justine Sow: Découvrir ses multiples facettes révèle plusieurs contradictions. C’est un produit culturel doté d’une lourde charge identitaire: des personnes revendiquent leur appartenance, leur relation affective à ce tissu, typiquement africain à leurs yeux. Mais il est aussi très commercial, utilisé pour générer du profit de manière désincarnée. L’apport de l’Afrique dans son succès est indéniable. Perçu comme emblématique des personnes qui étaient sous le joug colonial, il a été créé au XIXe siècle par des colons hollandais, qui se sont emparés d’une technique de teinture à la cire en Indonésie. À travers le mouvement No Wax, certains refusent de porter du wax pour mettre en avant les tissus traditionnels africains. Indissociable du continent, il est africain sans l’être. J’ai profité de ces paradoxes dans un but constructif pour raconter l’histoire de ce tissu, mais aussi l’histoire humaine les déplacements de populations, les inspirations, la culture. Aux Pays-Bas, l’usine historique de Vlisco propose un produit de luxe; c’est une façon pour les élites de se distinguer. Mais elle rivalise difficilement avec le wax confectionné en Asie, moins cher, parfois de bonne qualité, qui inonde le marché africain.

Parfois inspirés de l’iconographie africaine, les motifs de ce tissu aux couleurs éclatantes possèdent un sens, une histoire, un message, une symbolique. Les commerçantes en Afrique les ont baptisés, par exemple : «Mon mari capable», «L’oeil de ma rivale», «La famille», «Fleurs de mariage», «Ouvrir son coeur», «Chéri ne me tourne pas le dos»…
Les Africaines ont investi le wax de toute leur culture, elles en ont fait un produit vivant en l’insérant dans des moments de vie, tels que les naissances, les mariages, les rites funéraires, le passage à l’âge adulte, etc. Le nom et le sens de certains motifs varient d’un pays à l’autre, en fonction du temps aussi. Cet objet a sa propre vie.
En menant son étude sur le wax, votre héroïne belgo-congolaise, qui vit à Bruxelles, effectue aussi une quête identitaire et renoue avec ses origines africaines. Pourquoi?
L’exploration de ce tissu se mue en exploration d’elle-même, de son histoire familiale, de son africanité à elle et à son père, et de son héritage. J’établis un parallèle entre la complexité culturelle du wax et les paradoxes identitaires d’un personnage métissé et afrodescendant. Vivre dans le regard de l’autre devient insupportable, il faut trouver son propre chemin. D’aucuns considèrent que les facettes plurielles de nos identités génèrent des tiraillements intérieurs, alors qu’on le vit avec une harmonie personnelle au quotidien.