LA RÉVOLUTION CONTINUE !
AU CAIRE, L’ARMÉE A MIS FIN AU POUVOIR DES FRÈRES MUSULMANS. Depuis, des manifestations monstres opposent les « pro » et « anti ». On compte les morts par dizaines, presque par centaines, pendant que le pays s’enfonce dans le chaos économique. À Tunis, un opposant de gauche, Mohamed Brahmi a été lâchement assassiné. On nous dit qu’il s’agit de jihadistes, les mêmes que ceux qui ont tué Chokri Belaïd. Soit... Pendant ce temps-là, d’autres jihadistes mènent la guerre sur le mont Chaambi, et des soldats, mal équipés et mal informés, se font massacrer. Une honte nationale, alors que la transition s’éternise, que la classe politique se discrédite et que la nation s’affaiblit et se divise chaque jour un peu plus.
Au Caire, comme à Tunis, capitales phares du Printemps arabe, les islamistes portent une lourde responsabilité dans la tournure des événements. Ils ont montré une faible capacité organisationnelle, une compréhension laborieuse des enjeux de gouvernement. Ils se sont trompés de mandat, en voulant accaparer tout le pouvoir, changer la société, la réislamiser. Arguant d’une légitimité pourtant bien tenue. La « légitimité » est le produit des urnes, mais elle se construit aussi au fil du temps par l’action et le respect de la démocratie.
Le monde arabe a changé. Il est multiple, ouvert à toutes sortes d’influences. Beaucoup veulent construire des sociétés pluralistes. Et il y a des forces « lourdes », « structurantes » à ne pas négliger (l’armée et les milieux d’affaires en Égypte, l’administration en Tunisie). Les révolutions ont créé une demande de liberté. Et de citoyenneté. La modernité dicte ses propres contraintes économiques. Et les citoyens veulent de la justice et du progrès social. La première erreur des islamistes aura été de croire que tout ce contexte ne comptait pas. La seconde grande erreur aura été de tolérer les violences, les ligues, les outrances verbales et les menaces. D’avoir établi et conservé une relation sulfureuse, ambiguë avec le monde salafiste et jihadiste. Au Caire comme à Tunis, les passerelles sont nombreuses entre la mouvance « institutionnelle » et la mouvance « radicale ». On protège presque ces « militants », alors que, pourtant, ils refusent le modèle démocratique, et exigent un État théocratique dont la Constitution serait le Coran...
Ces chemins ne mènent qu’au chaos ou à la dictature. S’ils ne veulent pas être définitivement rejetés par une large partie de leur société, et par le reste du monde, et finalement par l’Histoire, les islamistes vont devoir changer. Faire leur aggiornamento. Entrer dans la modernité, accepter les règles de la démocratie, les règles de l’État séculier et civil, se convertir à l’économie et tenir compte des élites de leurs pays. Ce choix est essentiel pour tous ceux, nombreux, probablement majoritaires, qui ne sont pas islamistes. Parce que l’on ne pourra pas faire sans eux. Ils sont là, ils pèsent. L’éradication dont certains rêvent ne mène à rien, si ce n’est à la guerre civile et à un immense recul historique. La Tunisie, l’Égypte, le monde arabe a besoin d’une synthèse. Et non d’un affrontement. Et cette synthèse a certainement besoin de l’émergence de nouvelles générations, de leaders différents, nés largement après les indépendances. La révolution ne fait que commencer!
Par Zyad LIMAM
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